3 raisons de s’intéresser au pivot des agences web marocaines
Depuis quelques années, beaucoup de professionnels du web au Maroc s’accordent à dire qu’il est très difficile pour les agences web qui n’ont pas su diversifier leurs prestations de survivre dans une conjoncture de moins en moins favorable à la simple sous-traitance.
L’objectif de la majorité des responsables commerciaux a longtemps été de décrocher des clients à l’étranger afin d’assurer une rente en devises et de profiter de budgets plus importants que ceux des entreprises locales. Pour y arriver, tous les moyens étaient bons, des campagnes d’emailing intenses aux stands dans les salons professionnels en Europe.
La crise économique qui a tardé à atteindre le Maroc a entretenu l’idée d’un "miracle marocain" qui s’est très vite démenti. Les clients étrangers devenaient, dès la fin des années 2000, plus frileux, tandis que les clients marocains devaient faire face à un tarissement de la liquidité et à la stagnation de l’activité commerciale (en 2013, la consommation intérieure connaît un taux de croissance inférieur à celui des cinq dernières années avec une croissance établie à 3,9%).
Certaines agences ont alors choisi d’explorer de nouveaux positionnements. Des choix payants dont pourrait s’inspirer bien des secteurs.
Se réorienter géographiquement
Quand la croissance reprend en Europe, le mot "crise" devient un moyen efficace de négociation pour baisser les prix, refuser certaines modalités de paiement et retarder chaque échéance de paiement et de livraison.
Pour certains, comme Taher Alami et Anas El Filali, c’est au marché du Moyen-Orient que les professionnels marocains devraient s’intéresser et ainsi exploiter le filon sous-exploité du web en langue arabe. Anas, qui gère l’agence Lorem, déclare avoir séduit plusieurs gros clients dans les pays du Golfe avec ses contenus digitaux et ses jeux en HTML5, tandis que Buzzeff, la première plateforme de mise en relation entre annonceurs et éditeurs de sites et de blogs au Maroc, puis au Maghreb, s'est envolée à Dubaï l’an dernier.
Pour d’autres, comme Driss Lebbat, cofondateur d’ADK Média, entreprise originaire d’El Jadida, c’est l’intérêt même de la sous-traitance des projets étrangers au Maroc qui est remis en cause.
Les petites entreprises marocaines ne peuvent pas concurrencer des pays comme la Chine ou l’Inde où les développeurs offrent des prix jusqu’à 10 fois moins cher que le Maroc. Ce qui peut être rentable au Maroc, ce sont les grandes structures ou les chaînes de création avec des dizaines d’employés et une force de vente agressive. C’est là où l’on peut réussir à sortir avec des marges intéressantes – Driss Lebbat, cofondateur d’ADK Média
Mehdi Najeddine, gérant de l’agence digitale Void basée à Agadir, disposait d’une antenne à Paris et à Shanghai mais n’a pas hésité à se focaliser sur les clients marocains, dont l’opérateur Inwi, dans le cadre de son projet de développement social Dir Iddik. Ci-dessous, une vidéo qu'ils ont produite et qui résume, avec humour, la situation.
Diversifier son offre
Certes, le marché du développement web est encore porteur, mais beaucoup d’agences marocaines notoires ont été contraintes de survoler la création de sites internet pour passer à la vente d’espaces d’hébergements en ligne et de noms de domaine, au consulting, à l’événementiel, et au développement d’applications web et mobile.
Après avoir été frappée de plein fouet par la crise économique de 2008, l’agence de Taher Alami, Abweb Consulting, a décidé de revoir son business model et de s’intéresser à d’autres services tels que le consulting et le développement d’applications.
ADK Média a mis en place en 2012 une nouvelle infrastructure basée sur le Cloud Computing et investit actuellement de manière intensive dans AutoJahiz, son application SaaS (Software as a Service) dédiée à la gestion des parcs automobiles des agences de location de voitures.
Synergie Média, que j’ai co-fondé, a évolué de la petite agence web établie à Agadir à l’organisateur de la plus grande compétition web de la région, les Maroc Web Awards, en montrant beaucoup d’intérêt envers les technologies mobiles, notamment à travers son calendrier événementiel – actuellement en bêta testing – Ev.ma.
Eduquer le marché local
Afin de comprendre la nature même du marché digital marocain, il faut garder à l’esprit que les métiers du web sont très peu régulés dans notre pays. Il n’existe aucun statut officiel pour les freelancers et très peu d’agences opèrent selon un Modus operandi légal qui commencerait par la réception d’un cahier de charge et qui se clôturerait par la signature d’un bon de livraison, en passant par la validation d’un bon de commande et d’un devis, et par la signature d’un contrat et d’une facture.
La concurrence du secteur informel est totalement déloyale avec des prix impossibles à concurrencer et des produits de qualité médiocre qui minent la réputation des professionnels.
L’inculture technologique des clients aggrave cette situation avec beaucoup d’entreprises familiales qui sous-estiment encore l’importance de leur présence en ligne et n’intègrent que peu de solutions technologiques dans l’exercice de leur activité. Il est donc très difficile de justifier la surfacturation qui garantirait le respect des standards, la compatibilité multiplateforme, l’optimisation des performances…
Plus proche de la réalité que de la caricature, des cybercafés et des campagnes de spams annoncent des sites web avec nom de domaine et espace d’hébergement à moins de 125 dollars, et des sites e-commerces à moins de 375 dollars. Il est en théorie impossible pour une agence conventionnelle de faire moins cher, quoique certaines suivent cette tendance et bradent leurs prix comme c’est le cas de CompetenceCenter.ma.
L’adoption du projet de loi de finance 2014 en décembre dernier n’a été que la suite logique d’un débat initié dès avril 2013 lors des Assises de la fiscalité tenues à Skhirate.
L’augmentation du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur plusieurs produits et le durcissement du ton face aux retardataires a poussé beaucoup d’entreprises à réduire leurs dépenses " non-essentielles" et à retarder les règlements de toutes leurs factures.
Une situation qui a congestionné le marché des services, notamment ceux liés au web, déjà très précaires à cause d’une importante charge salariale et d’une réserve comptable généralement faible.
Les professionnels auront donc la lourde tâche de restructurer leurs organisations, revoir leurs stratégies et éduquer "technologiquement" leurs clients, tandis que l’Etat devra participer à la création d’une dynamique de développement durable à travers un cadre juridique et légal adapté.